Les sept erreurs de Vital Kamerhe

Article : Les sept erreurs de Vital Kamerhe
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28 avril 2020

Les sept erreurs de Vital Kamerhe

L’incarcération de Vital Kamerhe bouleverse la scène politique congolaise. Artisan de la victoire de Félix Tshisekedi aux présidentielles de 2018, le co-leader de la plate-forme CACH qui dirige le pays dans une coalition avec les FCC voit son avenir et celui de ses partisans mis en péril par une procédure judiciaire qui pourrait le conduire à une longue peine d’emprisonnement dans un scandale de détournement des deniers publics.

Depuis longtemps, les Congolais n’avaient pas eu l’occasion de voir une grande figure être traînée en justice pour rendre compte de ses malversations présumées. Les temps changent en RDCongo. La suite nous dira si oui ou non, l’un des principaux acteurs politiques congolais sortira des griffes de la Justice. Mais comment le tout puissant Directeur de Cabinet du nouveau Président en est-il arrivé après quatorze mois d’exercice du pouvoir à se retrouver aux côtés des centaines d’autres détenus de droit commun entre les murs crasseux de la prison surpeuplée de Makala ? Histoire d’une chute en sept épisodes…

Première erreur : la négociation inachevée

Dans quelques heures, l’année 2018 va se terminer. Ce 30 décembre, peu avant minuit, Norbert Bashengezi, le puissant vice-président de la CENI, vient d’obtenir les résultats des machines à voter. Le vote électronique a l’avantage d’assurer une transmission des données en temps réel. L’ancien ministre de l’agriculture du Sud Kivu n’a pas hésité́ à placer son fils Marcelin Bashengezi Mokolo à la tête de l’informatisation de la CENI.

Il a ainsi verrouillé le système. Mais les résultats ne sont pas bons pour sa famille politique. Les machines révèlent que la victoire de Martin Fayulu est écrasante. Immédiatement, Norbert Bashengezi demande audience auprès du Président Kabila pour lui présenter le tiercé des élections. Le Raïs le reçoit immédiatement. Son candidat Ramazani arrive en deuxième position loin derrière Fayulu. Il est talonné par Félix Tshisekedi. Le Président Kabila demande à Bashengezi de ne rien dévoiler des résultats. Il lui faut réfléchir au meilleur scénario.

De retour à son domicile, Bashengezi ne peut s’empêcher d’appeler Vital Kamerhe. Les deux hommes issus de la même ethnie des Bashi à Bukavu s’entendent à merveille. L’ancien président de l’Assemblée Nationale qui a fait le pari d’une alliance tardive avec Félix Tshisekedi accuse le coup. Mais l’homme est réactif et a plus d’un tour de passe-passe dans sa tête. Il joint immédiatement Joseph Kabila afin de le rencontrer. Le Président accède à sa demande et le reçoit aux premières heures du 31 décembre. Les deux hommes n’ont jamais coupé les liens.

Au-delà̀ des différents politiques, chacun sait ce qu’il doit à l’autre. Sans dévoiler ses sources, Vital Kamerhe annonce au Président les résultats que lui a communiques Bashengezi. Joseph Kabila les confirme. Il annonce à son interlocuteur qu’il va faire annoncer la victoire de son poulain Ramazani Shadary. Le futur président choisira Félix Tshisekedi comme son Premier Ministre. A eux deux, ils pourront circonvenir la déception de la population qui pourrait tourner à la violence. Pour Kabila, il serait totalement inconcevable de laisser Fayulu prendre les commandes du pays. Trop radical, trop imprévisible et surtout redevable à Moïse Katumbi, le candidat n°4 ne donne aucune garantie au Président Kabila. Pour brouiller les pistes, Joseph Kabila prendra soin de solliciter l’intervention de la Représentante du Sécrétaire Général des Nations Unies, Leila Zerougi, afin de prendre contact avec Martin Fayulu.

Dans ce jeu d’élimination, Vital Kamerhe va jouer son va-tout. Avec sa gouaille légendaire, il met en garde Joseph Kabila de son scénario d’un ticket Ramazani-Tshisekedi. « L’UDPS n’acceptera jamais de travailler sous les ordres de Ramazani. Ils préfèreront rallier Lamuka. Les FCC vont se retrouver seuls et je leur promets bien du plaisir », prédit l’ancien directeur de cabinet. « La seule solution est de choisir Félix Tshisekedi ».

Après réflexion, il est deux heures du matin, Joseph Kabila accède au plan Kamerhe. Mais il assortit ce choix d’une condition : «Je donne la présidence à Félix Tshisekedi mais je veux garder toutes les autres institutions et les gouverneurs de province. L’Assemblée Nationale, le Sénat et les Assemblées provinciales ainsi que les Cours et Tribunaux resteront à ma famille politique ». Vital Kamerhe s’engage à convaincre son champion d’accepter « le deal ». Sur le chemin de sa résidence, il prend la précaution d’informer feu Jacques Ilunga, un des meilleurs amis de Félix pour lui annoncer l’accord inespéré́ qu’il vient de négocier. Il le charge d’en informer le futur président.

En réalité, Vital Kamerhe craint une réaction épidermique de Félix Tshisekedi. Lors de cet échange téléphonique, les deux hommes conviennent qu’ils doivent se retrouver toutes affaires cessantes à trois. Jacques Ilunga se chargera d’amener le futur président chez Kamerhe. A trois heures du matin, les trois hommes se retrouvent afin d’évaluer la situation. Dans un premier temps, Félix Tshisekedi refuse. Il rappelle à Kamerhe que leur accord signé à Naïrobi prévoit de lui confier la primature. Il n’est pas question que ce poste leur échappe. Vital Kamerhe lui dit : « Ne t’en fais pas pour moi, il faut accepter ! Je trouverai bien quelque chose, mais il faut avant tout prendre sans hésiter ! ».

Sur recommandation de son allié, Félix Tshisekedi accepte les termes énoncés par Joseph Kabila. Le deal final sera bouclé en présence de Fortunat Biselele, l’homme lige de Félix Tshisekedi en charge des relations avec Kigali. Le fils du Sphinx de Limete devient ainsi le premier président issu d’une alternance apaisée en RD Congo. Il entre dans l’histoire. Mais dans la précipitation de cet accord inachevé́, Kamerhe commet sa première erreur en s’effaçant complètement au bénéfice exclusif de deux signataires de l’accord. Elle sera lourde de conséquence sur son destin personnel.

Deuxième erreur : le choix de la direction du cabinet de Félix Tshisekedi

Sitôt le deal bouclé, Vital Kamerhe se félicite d’avoir hissé son allié à la magistrature suprême. Désormais, il porte sans complexe le titre de « faiseur de rois ». L’accord de Naïrobi signé sous les auspices du Président Kenyatta Uhuru assisté de son opposant historique Raila Odinga lui permet d’envisager de succéder à Félix Tshisekedi en 2023 et de devenir un jour le 6ème président de la République Démocratique du Congo. Rien ne peut s’opposer à̀cette irrésistible ascension. Mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres ! Et Vital Kamerhe sait qu’il doit assurer financièrement ses arrières.

Depuis 2011, la traversée du désert a laissé́l’homme totalement exsangue. Après avoir vendu son patrimoine immobilier pour soutenir sa campagne présidentielle de 2011, les quatre années ont été difficiles. Certes, l’accord du Palais de Marbre négocié́sous l’égide d’Edem Kodjo lui a permis de se requinquer. Janet Kabila a apuré ses dettes auprès des banques. Mais la déception a été́ dure à avaler lorsque Joseph Kabila lui a refusé́ l’accès à la Primature.

Pourtant Kamerhe y croyait. Il avait obtenu toutes les garanties qu’il allait devenir le locataire de l’hôtel du Gouvernement sur les bords du fleuve Congo. La victoire de Félix est inespérée.

Même s’il doit lâcher la primature, Kamerhe est déterminé́à se refaire rapidement une santé financière. Contre toute attente, il délaisse le poste de Vice-Premier Ministre de l’Intérieur qui lui revient de plein droit pour solliciter le poste de Directeur de Cabinet. En réalité́, Kamerhe y voit l’occasion de prendre la main sur l’Exécutif.

En politicien roué, il sait que l’accord de coalition et la mise en place du gouvernement prendront du temps. Pendant ce temps, le pouvoir sera concentré entre les mains du Président de la République. Au grand dam de tous les caciques de l’UDPS, des amis les plus proches du nouveau Président et des figures emblématiques de la communauté́ kasaïenne qui voient dans la présidence de la République leur chasse gardée, Vital Kamerhe exige le poste de Directeur de Cabinet du nouveau Président. Félix ne peut rien refuser à celui qui l’a élevé́ à cette fonction. Désormais, Vital Kamerhe sera l’homme-orchestre de la présidence. Il devient alors à la fois le vice- président, le premier ministre et l’intendant. Il verrouille les postes au sein du cabinet et accapare tous les marchés. En quelques semaines, il se met à̀ dos une légion d’ennemis qui voit en lui un obstacle à leurs ambitions. Pour les tenants du nouveau pouvoir, la course est à̀l’enrichissement rapide. Kamerhe avance à découvert. Il convainc le Président Tshisekedi de lancer un vaste programme d’infrastructures pour les 100 jours du nouveau pouvoir. Coût de l’opération : 300 millions USD. Au-delà̀ de l’élaboration du programme, Vital Kamerhe officiera à l’engagement, l’ordonnancement, la liquidation et le paiement. Dans la boulimie financière, se mettant à dos un nombre de plus en plus élevé́ d’adversaires, Kamerhe commet sa deuxième erreur. Elle le conduira en prison.

Troisième erreur : l’affaire des 15 millions de dollars

Dans le cadre du fonctionnement de la Présidence de la République, les fonds budgétisés sont insuffisants pour répondre aux besoins de plus en plus pressants des cadres, de la clientèle politique et de la famille. Vital Kamerhe a rapidement maille à partir avec Christian Tshisekedi, le jeune frère du président. Ce dernier n’hésite pas à̀investir le bureau du Directeur de cabinet pour le prendre violemment à partie. Kamerhe a besoin d’argent pour gérer sa troupe. Le fonds de réserve stratégique constitue une aubaine.

En l’absence d’un gouvernement issu des élections, Vital Kamerhe va prendre le contrôle du fonds. Il ordonne à la Rawbank d’ouvrir un compte sur lequel il aura la signature. Il en informe Félix Tshisekedi. Le Président est d’abord réticent. Instinctivement, il sent le danger et demande à̀Kamerhe de ne pas s’immiscer dans cette gestion. La tentation est trop forte pour le Directeur de Cabinet qui revient à la charge pour in fine outrepasser les timides recommandations du Président. Quand l’affaire éclate au grand jour, Vital Kamerhe est exposé. Le Directeur de cabinet se retrouve affaibli.

En voyage en Belgique, Tshisekedi ne décolère pas. Son entourage et la base militante de Limete veulent porter l’estocade afin de se débarrasser de l’homme de Bukavu. Devant le danger, Vital Kamerhe dépêche son épouse Amida Shatru à Bruxelles afin de rencontrer le président et solliciter sa clémence. La manœuvre réussit. La sémillante épouse trouve les mots pour convaincre le Président qui la rassure. Il lui promet qu’il ne lâchera pas l’homme qui lui a permis d’accéder à la présidence. Le Chef de l’Etat congolais s’exécute. Dans une interview mémorable sur TV5, Félix Tshisekedi avoue que les rétro-commissions sont légales. La consternation est générale. Au prix d’une immense perte de crédit personnel, Félix Tshisekedi vient dédouaner Vital Kamerhe.

En s’affranchissant des conseils du Président et en revendiquant de façon prématurée son autonomie financière, Vital Kamerhe commet sa troisième erreur. Les faucons de l’entourage du Président s’en souviendront au moment d’écarter l’encombrant directeur de cabinet.

Quatrième erreur : l’immixtion dans la gestion des affaires de famille

La gestion du pactole des 15 millions donne au Directeur de Cabinet du Président les coudées franches. En politique avisé, Vital Kamerhe veut gagner la confiance du cercle familial du Président. Farouchement combattu par les conseillers spéciaux du Chef de l’État qui se trouvent tous être quasiment des Kasaïens et par les membres de la communauté́ Luba qui se sont approprié la direction du pays, Vital Kamerhe cherche des alliés. Son mariage et son train de vie tonitruants suscitent la réprobation générale dans le camp présidentiel. Les postures de Vice-Président adoptées par Kamerhe achèvent d’exaspérer les Balubas.

Conscient de l’hostilité́ grandissante, Vital Kamerhe pactise avec Denise Nakuru. La première Dame originaire de Bukavu cherche du financement pour sa fondation. Elle s’en ouvre à Vital Kamerhe qui délie les cordons de la bourse en décaissant sur les millions logés à la Rawbank.

Christian Tshisekedi et Maman Marthe font aussi partie des bénéficiaires de la généreuse dotation. C’est avec consternation que le Président de la République apprendra les décaissements opérés par son directeur de Cabinet en faveur de ses proches.

En s’ingérant dans les affaires familiales dans le but de se protéger de ses adversaires de l’intérieur, Vital Kamerhe commet sa quatrième erreur. Il réussit à s’attirer la méfiance du Chef de l’État qui s’inquiète de l’immixtion de son collaborateur dans ses propres affaires familiales.

Cinquième erreur : l’obsession de la prochaine présidentielle de 2023

Le renoncement à l’ambition présidentielle a suscité́ un profond traumatisme chez Vital Kamerhe. L’accord de Naïrobi constitue un premier gage pour une ambition future. Mais ce texte ne donne aucune garantie à Vital Kamerhe qui pressent que Félix Tshisekedi va aller chercher auprès des FCC le soutien à accomplir son premier mandat dans un environnement de collaboration apaisée avec son prédécesseur. Les rencontres entre l’ancien et le nouveau président sont l’occasion pour les deux hommes de s’apprécier et de se donner des gages mutuels. Joseph Kabila apprécie son successeur dont les troupes politiques ont le contrôle de Kinshasa et avec lequel il peut s’entendre pour écarter définitivement Katumbi de la course à la présidentielle. Kabila trouve également en Tshisekedi un protecteur attentionné pour les intérêts de sa famille et pour la sauvegarde de son patrimoine. Cette alliance repousse aux calendes grecques les ambitions présidentielles de Kamerhe dont le rôle est confiné aux utilités marginales.

Le programme des 100 jours est l’occasion pour le directeur de cabinet de placer ses marchés et de gagner de l’argent, beaucoup d’argent en perspective du prochain scrutin. Lors de ses déplacements en Afrique, Vital Kamerhe est reçu par les Chefs d’État auprès desquels il ne cache pas ses ambitions. Les déclarations de Kamerhe viennent aux oreilles de François Beya, le tout puissant Conseiller chargé de la Sécurité́du Président, de plusieurs proches et de Félix Tshisekedi. Elles irritent le sérail.

La base de l’UDPS a toujours considéré que l’accord de Nairobi est tombé caduque, et de ce fait, contrairement aux prétentions de Vital Kamerhe, ce dernier n’avait donc plus rien à revendiquer. De toute façon, l’UDPS ne peut concevoir que le Chef de l’État ne soit pas candidat en 2023, donc toute velléité de son directeur de cabinet de se présenter en 2023 est considérée comme un affront, et au mieux, un péché de lèse-majesté qui mérite immédiatement une pendaison.

Faute de mettre en sourdine son ambition présidentielle, Vital Kamerhe commet sa cinquième erreur. De collaborateur écouté́, il devient la cible à abattre pour le clan présidentiel de moins en moins disposé à partager le pouvoir avec son allié d’aujourd’hui mais adversaire certain de demain.

Sixième erreur : la mauvaise appréciation des rapports de force

Calé dans un fauteuil feutré au dernier étage du siège du FMI à Washington, Félix Tshisekedi éberlué́écoute les révélations de Kristalina Georgevia, la directrice générale du FMI, auprès de laquelle le président congolais est venu demander un appui financier pour boucler l’année. Les réserves de change ont chuté́, les recettes douanières ont tari, les cours du cuivre ont chuté́ et les perspectives sont d’autant plus sombres que le train de vie de l’État ne cesse de grandir. Flanqué du gouverneur de la Banque Centrale, Déogratias Mutombo Mwana Yembo et du ministre des Finances, José Sele Yalaghuli, le président congolais entend la responsable du FMI fustiger avec force la corruption et le blanchiment d’argent opéré́ à Kinshasa avec l’appui d’une des plus grandes banques commerciales du pays. Preuves à l’appui, elle dénonce l’existence de milliers de comptes numérotes dans une des institutions bancaires de la classe. Ces comptes servent aux transferts de l’argent détournés par les politiques aux ordres du pouvoir. C’est à travers eux que transitent les fonds de plusieurs groupes indexés par le gouvernement américain. Or, l’administration américaine traque des personnes bien identifiées qui opèrent en RDCongo et brassent des centaines de millions de dollars. Plusieurs d’entre eux ainsi que leurs sociétés sont sanctionnés par le Trésor américain.

Or, le pouvoir de Kinshasa est accusé de laxisme voire de complicité. Félix Tshisekedi est mis au pied du mur. Il est dans l’obligation d’agir et de mettre sans délai un terme à̀ ces pratiques s’il veut conserver de bonnes relations avec les Institutions de Bretton Woods et l’administration américaine qui lui accorde encore un certain crédit.

En RD Congo, Vital Kamerhe n’a pas conscience de la gravité des accusations lancées par la directrice générale du FMI contre la banque dans laquelle il compte des amitiés solides. Le directeur de cabinet est bien moins regardant sur les opérations bancaires. Son empressement à percevoir des commissions en espèces le conduit à instruire l’ouverture de compte en banque au nom des membres de sa famille et de ses proches où sont logés les fonds payés en cash par les opérateurs économiques sélectionnés pour la réalisation des travaux d’infrastructures. Le relevé des comptes mettra à nu un système indigne d’un homme d’Etat sensé connaitre les lois de la République.

L’affairisme ambiant qui entoure le directeur de cabinet l’aveugle et lui fait oublier que d’une part, Washington exige des résultats dans la lutte contre la corruption, et d’autre part, en interne, la base UDPS, principale force politique de la coalition CACH, avait déjà fait une croix sur Kamerhe, qualifié de chef d’orchestre de tous les détournements de fonds autour du Chef de l’État. Dès lors Il fallait qu’une tête tombe. Et pas un lampiste !

En oubliant tous les principes de gestion prudentielle qui exigent le respect strict des lois, Vital Kamerhe offre sa tête aux partenaires du Congo qui veulent mettre un terme à la prédation institutionnalisée en mode de gouvernement en RDCongo. Il commet là sa sixième erreur !

Septième erreur : le retour tardif sous l’aile protectrice de Joseph Kabila

Les chantiers engagés en mars à renfort de publicité piétinent. La Ville de Kinshasa est paralysée. Les sauts de mouton en construction éparpillés le long des grandes artères congestionnent la capitale. Les Kinois passent des heures dans les taxi-bus à tempêter contre un pouvoir inefficace dont les responsables et leurs enfants mènent grand train. Les réseaux sociaux fourmillent d’images de maisons, de voitures de luxes Ferrari et Maserati au volant desquelles on reconnaît le frère de l’un et la fille ou la belle-sœur de l’autre.

A l’UDPS la colère gronde également. Pour calmer la pression exercée par les parlementaires debout qui constituent la sève du parti présidentiel, le président ad interim de l’UDPS s’improvise en contrôleur des marchés publics. Accompagné de la presse, il visite les chantiers à l’arrêt. Les tôles qui masquaient les travaux ont été emportées par la tempête. La population voit qu’on lui a jeté de la poudre aux yeux.

Pour amortir le choc, Vital Kamerhe s’en prend au Ministre des Finances qu’il accuse de sabotage du programme présidentiel. Ce dernier réplique en lançant à la volée le différentiel entre les décaissements d’argent opérés pour chaque marché et leur réalisation physique.

L’écart est impressionnant. Vital Kamerhe se retrouve au pied du mur d’autant qu’au sein de l’entourage du Président Tshisekedi, les faucons s’apprêtent à la mise à mort du Président de l’UNC.

En politique avisé et rusé, Vital Kamerhe s’est constitué une assurance-vie en se rapprochant de Joseph Kabila dont il recommence à partager la complicité. Depuis la négociation du deal qui leur a permis de jeter les bases du nouveau pouvoir, il se rend régulièrement à Kingakati pour converser avec l’ancien président. Il s’épanche sur l’incompétence de la troupe qui entoure le nouveau Chef de l’Etat et ne tarde pas à convaincre Kabila qu’en 2023, il constitue la carte idéale pour la majorité. Joseph Kabila semble séduit par la perspective de ce retournement. Mais l’ancien président n’a pas oublié la trahison de son ancien lieutenant.

L’homme a la mémoire longue. Des bribes d’informations des échanges de Kingakati sont rapportés à Félix Tshisekedi qui masque sa colère. En stéréo entre les deux présidents, l’ancien et le nouveau, Vital Kamerhe scelle définitivement son sort et celui de sa famille. Il n’y a pas loin du capitole à la roche tarpéienne. Un pas que Kamerhe va franchir allègrement !

Un faiseur de roi n’est pas un Roi. En se rapprochant de Joseph Kabila pour y porter la critique de la famille politique de son allié, Vital Kamerhe endosse la tunique du parfait judas. Les 30 pièces d’or jetées sur le parquet de la Présidence n’ont pas fini de teinter que le parquet général convoque Vital Kamerhe pour le conduire au centre pénitentier de Makala.

Les rencontres régulières entre l’ancien président de la République et le directeur de cabinet de son successeur ont été la septième erreur de Vital Kamerhe. Probablement la plus fatale.

L’impunité a toujours été le bouclier des collaborateurs véreux qui ont certes saigné les caisses de l’état mais n’ont jamais poussé leur audace jusqu’à manifester une ambition politique pour le pouvoir suprême auquel travaille Joseph Kabila pour y revenir et Félix Tshisekedi pour y  rester. En voulant se payer à terme JK et FT grâce à son intelligence machiavélique, VK s’est payé un aller simple à Makala et certainement une tombe au panthéon des faiseurs de roi en politique. L’élimination de Vital Kamerhe constitue un séisme dans le paysage politique congolais.

Depuis une vingtaine d’années, l’homme occupait les devants de la scène. Les Congolais avaient eu l’occasion de découvrir son talent hors norme lors de l’Accord de Cessez-le-feu de Lusaka en 1999 et du Dialogue Inter-congolais de Sun City en 2003 où Kamerhe officiait aux premières loges aux côtés des Ruberwa et Kamitatu. Son éloquence et son sens du timing politique le portèrent à diriger la campagne présidentielle victorieuse de Joseph Kabila en 2006.

A la tête de l’Assemblée Nationale en 2007, il fit montre d’une grande maîtrise des enjeux de politique nationale et internationale. Lorsqu’il s’opposa à l’entrée des troupes rwandaises sur le sol congolais et qu’il dût démissionner de la présidence de l’Assemblée Nationale, Vital Kamerhe était arrivé au sommet de son art. Il était en harmonie totale avec la majorité sociologique congolaise. Il paya le prix de ce que Joseph Kabila considérait comme une trahison. Pour Kamerhe, la traversée du désert fut douloureuse et la suite du parcours moins brillante. Accusé d’avoir saboté la candidature unique d’Etienne Tshisekedi en 2011, il porta sur ses épaules le fardeau de l’échec de l’opposition. Son retour sur le devant de la scène lors des négociations de la cité de l’OUA conduites par feu l’ancien Premier Ministre Edem Kodjo, fut un acte manqué. La suite, on la connaît. Elle conduit l’un des acteurs les plus brillants de sa génération aux portes de la prison.

L’écartement de Vital Kamerhe change fondamentalement la donne. En perspective de 2023, le match au sommet se joue entre Joseph Kabila et Félix Tshisekedi. L’attelage tiendra-t-il encore longtemps ? Aussi longtemps que les deux hommes redoutent la montée en puissance de Moïse Katumbi qui vit en embuscade au Katanga, tout indique que leur coalition survivra.

Pour les deux camps, l’ancien gouverneur du Katanga incarne le danger. Il est aux yeux de Joseph Kabila la figure de toutes les peurs. Quant à Félix Tshisekedi, il voit en lui le seul véritable obstacle à un second mandat. Mais en politique, tout est possible. Un retournement des alliances pourrait venir bouleverser à nouveau les cartes. Pour le contrôle du pouvoir suprême en RD Congo, on a déjà vu Dieu faire alliance avec le diable !

Par Kiyedi Mwalungu

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