RDC : la crise alimentaire au Grand Kasaï atteint son paroxysme

20 janvier 2018

RDC : la crise alimentaire au Grand Kasaï atteint son paroxysme

Au moins 97 millions USD sont requis, d’ici à fin juin 2018, pour couvrir les besoins des populations affectées par la crise généralisée dans l’espace Kasaï. Environ 400 mille personnes ciblées dans les provinces du Kasaï et Kasaï Central sont dans une insécurité alimentaire accrue. Plusieurs personnes, en majorité les enfants et les femmes, risquent leur vie si rien n’est fait.

Stanislas Ntambwe, de retour du Grand Kasaï

Les bénéficiaires en liesse accueillent la cargaison des vivres distribué par le PAM à Lubondaie-Kankenke

Tel un ouragan qui laisse des traces sur son passage, le conflit interethnique entre les communautés luba et tshokwe, dans l’espace Kasaï, ainsi que la guerre entre la milice Kamuina Nsapu et l’armée congolaise, laissent également les conséquences incalculables et des pertes irréparables. Mais, le plus grand défi c’est la conservation des survivants de ces événements malheureux qui ont endeuillé les deux Kasaï.

Une récente mission de terrain, effectuée du 8 au 15 janvier 2018, dans les deux provinces du Kasaï, nous a permis de nous enquérir de la situation humanitaire dans cette région. Mais aussi de connaître les vrais défis auxquels sont confrontés les humanitaires qui cherchent à atteindre les populations affectées par ces conflits en vue d’une éventuelle assistance. Le constat est amer : des faits choquants, des témoignages horribles, des chiffres inquiétants et des défis majeurs.

Sur la route qui mène vers la cité de Kamonia (à 65 km de la ville de Tshikapa), dans le territoire de Tshikapa (Kasaï), a eu lieu une distribution de vivres par le Programme alimentaire mondial (PAM), en partenariat avec l’ONG OXFAM, au profit de plus de 10 mille personnes affectées par la crise. Sur le chemin, au moins quatre villages fantômes s’étaient vidés de leurs populations, a-t-on constaté.

À l’arrivée de la délégation sur le site de distribution à Kamonia, la joie était perceptible sur les visages des bénéficiaires qui chantaient et scandaient des cris de réjouissance. Les bénéficiaires se recrutaient parmi les familles d’accueil, les retournés et les déplacés.

En termes de commodité, cette ration est composée de semoule de maïs, de haricot, d’huile de palme neutre, d’huile végétale et du sel. Chaque bénéficiaire a reçu « 6 kg de semoule de maïs, 1,8 kg de haricot, 0,45 kg d’huile et 0,45 kg de sel », a indiqué Jean-Martin Mulumba, officier chargé des urgences à l’Oxfam GB dans l’espace Kasaï.

Et le nombre de personnes ciblées dans le quartier Cité où cette distribution a eu lieu, est estimé à 10 081 personnes, a-t-il ajouté.

« Tshikapa est l’un des territoires qui a été le théâtre d’affrontements entre les éléments des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) et les miliciens Kamuina Nsapu », a confié par ailleurs Jean-Paul Kuzu, l’administrateur du territoire de Tshikapa en séjour à Kamonia. Il a ajouté que sur les neuf secteurs que compte sa juridiction, outre la commune rurale de Kamonia, sept ont été « sérieusement secoués » par les conflits et deux ont été épargnés.

Ainsi, a notamment déclaré Jean-Paul Kuzu, « les populations ont été contraintes de quitter leurs milieux d’origine pour se réfugier à Tshikapa, Angola, Kinshasa et Bandundu. Seul 1% de la population de Kamonia était resté sur place ».

Avant les événements, a-t-il rappelé, la commune rurale de Kamonia comptait « 70 mille habitants. « Pendant les événements, il n’y avait que les militaires et policiers pour maintenir la sécurité », a-t-il indiqué sans en dire plus sur ces événements malheureux.

L’administrateur du territoire a relevé que plusieurs villages ont été « incendiés et pillés », avant de faire remarquer que plus de 5 millions de personnes vivaient dans le territoire de Tshikapa. A ce jour, il estime à seulement 30% le nombre de personnes retournées. a-t-il ajouté. D’autres hésitent encore de rentrer, selon lui.

3,2 millions de personnes en proie à l’insécurité alimentaire grave

Des femmes bénéficiaires reçoivent avec joie des vivres du PAM, à Kamonia (Province du Kasaï). @Photo: Stanis

Les conflits au Kasaï ont amplifié l’insécurité alimentaire qui était déjà prévisible dans la région. Car plus de 90% des communautés rurales dépendent entièrement de l’agriculture. Ayant tout perdu, les agriculteurs qui ont fui les affrontements et les conflits entre les communautés luba et tshokwe ont raté trois saisons agricoles successives. L’aide alimentaire ne pouvant pas combler le vide, seules 400 mille des 3,2 millions de personnes souffrant d’insécurité alimentaire grave au Kasaï ont reçu une aide en décembre 2017.

Plus de 750 000 personnes sont déplacées. Environ 630 000 déplacés sont retournés dans leurs villages incendiés, après s’être cachés dans la forêt. Ils doivent dorénavant être assistés pour reprendre la production agricole.

Le PAM a enregistré environ 60 000 bénéficiaires des vivres pour la seule zone de Kamonia. Ce qui fait un équivalant de 500 tonnes de vivres qui seront distribuées dans les prochains jours, selon le coordonnateur des urgences du PAM dans l’espace Kasaï, Matteo Perrone.

97 millions USD nécessaires pour répondre aux besoins

Rencontrée sur le site de distribution du village de Lubondaie-Kankenke (près de 150 km de Kananga), dans la province du Kasaï Central, la cheffe de bureau du PAM dans cette région, Annie Tchowa, a déclaré que « la population est dans une extrême insécurité alimentaire dans certaines zones de santé du Kasaï Central ».

Avant de préciser que les aires de santé les plus touchées sont celles de Lubondaie, Dibaya, Tshikula et de Muetshi, dans le territoire de Dimbelenge. « Depuis le début de l’opération dans le Kasaï Central, en novembre 2017, nous avons assisté environ 142 000 bénéficiaires pour un tonnage de presque 3 000 tonnes », a révélé Annie Tchowa.

Il sied de noter que le PAM est limité financièrement, au-delà de tous les efforts fournis, dans les limites de ses possibilités, pour assister les populations affectées dans le Kasaï. Pour répondre aux besoins d’environ 400 mille personnes affectées par l’insécurité alimentaire, le PAM a besoin d’au moins 97 millions de dollars américains d’ici à juin 2018. D’où l’appel à fonds.

« Il y a un problème de disponibilité de fonds pour apporter l’assistance. Au niveau du PAM, nous n’en disposons pas suffisamment pour distribuer l’aide alimentaire à tous les bénéficiaires », a avoué Mme Annie Tchowa. Et d’ajouter : « Nous avons le souci avec les fonds à notre disposition, nous mettons tout en œuvre pour que la communauté internationale nous soutienne au plus vite. Si nous avons suffisamment de fonds, nous allons nous étendre sur d’autres zones et couvrir le plus de monde possible », a renchéri le coordonnateur des urgences du PAM dans l’espace Kasaï.

Il a poursuivi en disant que ce que nous faisons, c’est d’« atteindre les populations qui ont des difficultés alimentaires et distribuer la nourriture aux +zones 3+, c’est-à-dire celles qui sont déficitaires du point de vue alimentaire. Une fois que ces populations aient été servies pendant trois mois, nous devons absolument nous déplacer vers d’autres zones qui n’ont pas encore été servies ».

« Nous avons des limites dans les fonds et dans ce que nous avons dans nos entrepôts », a-t-il conclu.

Dans la même optique, les trois agences du système des Nations unies ont, dans un communiqué conjoint publié, le mercredi 17 janvier, tiré la sonnette d’alarme et considèrent que « le temps presse pour sauver des centaines de milliers de vies en République démocratique du Congo ». Il s’agit notamment du Programme alimentaire mondial, de l’Unicef et du Fonds des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).

Défis

Les défis se situent à plusieurs niveaux. Au-delà du défi financier, les humanitaires sont butés à plusieurs autres problèmes, notamment ceux liés à la « sécurité et l’accessibilité » aux populations concernées.

S’agissant du défi sécuritaire, « il y a des zones que nous ne pouvons pas atteindre à ce jour, car nous et nos partenaires n’avons pas de garantie d’exercer nos activités en toute sécurité », a expliqué Matteo Perreno.

« Dans les territoires de Dibaya et Tshikula, on rencontre souvent des incidents sécuritaires pour accéder aux sites de distribution », a ajouté, pour sa part, Annie Tchowa.

Un autre défi est celui d’accessibilité. Ce défi est un sérieux et un réel problème dans plusieurs régions de la RDC en général et dans l’espace Kasaï en particulier. Cela, à cause du délabrement avancé, mieux de l’absence d’infrastructures routières qui sont dangereusement impraticables. Ce qui fait que la livraison des vivres sur les sites prend « trop de temps » pour arriver aux localités où ces vivres doivent être distribués.

Parvenir à l’auto-prise en charge

Par ailleurs, en dépit de l’assistance et de la présence ponctuelles des humanitaires sur le terrain, les populations vulnérables qui sont soulagées pour un temps, par l’aide humanitaire, retombent souvent dans une insécurité alimentaire intenable, faute de suivi et d’accompagnement à leur auto-prise en charge. Or, cet accompagnement est avant tout de la responsabilité du gouvernement congolais qui a le devoir de garantir à ses citoyens des conditions de vie acceptables, les humanitaires et autres ONG lui venant en appui.

Au niveau des Nations unies, le PAM et la FAO ont conjointement développé des projets communs dans l’objectif d’amener les déplacés et retournés à l’auto-prise en charge alimentaire. C’est question de mettre fin à la dépendance et contribuer au développement rural. La FAO fournit une assistance alimentaire complémentaire à celle du PAM dans toutes les zones de santé où le PAM intervient (Kamwesha, Kamonia, Kalonda et Tshikapa). Les deux agences onusiennes ont reçu du gouvernement belge, en décembre 2017, un financement d’environ 10 millions de dollars américains en vue d’améliorer les conditions de vie et la sécurité alimentaire et nutritionnelle de près de 18 000 ménages, soit plus de 111 000 personnes de la région du Grand Kasaï.

Dans ce cadre, la FAO appuie la relance agricole grâce à la distribution d’outils aratoires, suivie de formations en techniques agricoles. La combinaison de l’aide alimentaire et agricole vise à permettre aux familles bénéficiaires de s’alimenter de manière autonome et de dégager un revenu. Cela leur offrira la possibilité soit de s’intégrer dans la communauté d’accueil, soit de retourner dans leurs villages après l’accalmie.

Tirer profit

De ce qui précède, les efforts de tout le monde sont nécessaires pour mettre la main à la pâte et aider les populations vulnérables. Le gouvernement congolais devrait prendre ses responsabilités en mains en construisant ou en réhabilitant des routes viables qui permettent un trafic normal sur l’ensemble du territoire national. La communauté internationale et les bailleurs de fonds sont aussi encouragés à financer les projets de développement et les interventions des agences et Fonds des Nations unies pour arriver à bout de l’insécurité alimentaire et assister les plus vulnérables.

Enfin, les bénéficiaires devraient, à leur tour, tirer profit de l’aide humanitaire et chercher à s’assurer une auto-prise en charge en cultivant le sol, sachant que l’assistance humanité n’est que ponctuelle et non pérenne.

(À suivre)

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