De Kinshasa à Luanda : politique et sous-développement éthique dans la gestion de la crise congolaise

28 octobre 2016

De Kinshasa à Luanda : politique et sous-développement éthique dans la gestion de la crise congolaise

De gauche à droite: Le Sud-africain Jacob Zuma, l'Angolais Edouard Dos Santos et le congolais Joseph Kabila
De gauche à droite : le Sud-africain Jacob Zuma, l’Angolais Edouard Dos Santos et le Congolais Joseph Kabila

Après le sommet des chefs d’État à Luanda sur la République Démocratique du Congo, ceux qui avaient encore de doute sur l’incapacité des leaders africains à résoudre véritablement les problèmes de l’Afrique savent maintenant ce qu’ils devaient savoir depuis longtemps : notre continent souffre d’un sous-développement éthique incarné principalement par ceux qui conduisent sa destinée politique.

Depuis de longues années, à partir de l’Union Africaine jusqu’aux organisations régionales chargées de résoudre les crises à l’intérieur des pays et les différends entre les nations, il est difficile de trouver des cas avérés où l’Afrique a résolu radicalement ses problèmes sans intervention étrangère, soit à l’échelle financière, soit à l’échelle des médiations politiques, soit même à l’échelle des interventions humanitaires fondées sur des principes éthiques clairs qui devraient être respectés par tous.

On avait espéré que la RD Congo serait le point de départ d’une nouvelle dynamique où, sous l’impulsion de l’UA et des États voisins, le continent montrerait au monde sa détermination à prendre en charge ses problèmes et à trouver des solutions fertiles à une crise interne de grande envergure. Le dialogue conduit par Edem Kodjo à Kinshasa et le sommet des Chefs d’État sur la RDC à Luanda, viennent de montrer à quel point le chemin de la prise en charge des problèmes de l’Afrique par l’Afrique est infiniment long à parcourir. Tout donne l’impression qu’il faudra encore faire recours aux grandes Puissances et aux Organisations internationales pour pallier les insuffisances politiques et les incompétences africaines face aux crises qui surgissent au sein du continent.

Une question essentielle

Pourquoi en est-il ainsi ? Que faut-il faire pour que les leaders du continent africain comprennent qu’ils ont la responsabilité de trouver des solutions africaines fertiles aux problèmes de l’Afrique, au lieu de s’enfermer dans la vision dictatoriale du pouvoir politique qui n’a plus d’avenir dans un monde où les droits des individus et des peuples sont le socle de la paix, de la prospérité et du bonheur partagé ?

Cette question est essentielle. Toutes les forces de l’intelligence devraient actuellement s’y pencher pour trouver en Afrique, le limon pour construire des politiques africaines dignes des rêves, des attentes et des espoirs de nos populations.

Imaginaire politique d’autocratie autiste

Ce qui fait problème avec nos Chefs d’État et les responsables qu’ils placent à la tête des institutions africaines pour gérer l’Afrique et ses pays, c’est leur vision du pouvoir politique. Ils sont tributaires du système qui domine nos territoires depuis le temps de l’esclavage jusqu’à nos jours. Selon ce système, le pouvoir n’est redevable à personne d’autre qu’à lui-même, avec des chefs qui développent des réflexes autocratiques basés sur la violence physique et le mépris de ceux sur qu’ils règnent.

Dans un tel contexte,  toutes les personnes qui gravitent autour du Chef ont un comportement de caniches qui ne laisse aucune possibilité d’une attitude critique face au pouvoir, encore moins d’une perspective d’un développement du sens de l’initiative pour baliser la voie d’une politique qui ait le bien commun et le vivre-heureux-ensemble comme étoile polaire.

Les régimes militaires qui ont sévi longtemps en Afrique après les indépendances africaines, ont été le modèle même de cette vision de l’Afrique, avec des Chefs autistes et autocratiques qui ont laissé leurs marques dans l’esprit des populations pour longtemps. Ces marques n’ont pas disparu de l’imaginaire de leurs successeurs, malgré toutes les luttes démocratiques qui ont réussi dans certains pays africains, sans changer profondément l’orientation du leadership dans beaucoup d’autres pays, particulièrement en Afrique centrale où l’idée du pouvoir politique est dominée par le souci de durer à la tête de l’Etat le plus longtemps que l’on peut.

Démocratie, contre-pouvoirs, alternance, volonté du peuple, libertés fondamentales, droits de l’homme et toutes les exigences qui sont aujourd’hui dans l’air du temps en matière de gouvernance des Etats modernes, passent sur l’esprit de nos Chefs d’Etat comme l’eau sur les ailes du canard. Le système politique que l’on promeut est plutôt celui du règne perpétuel de l’Homme qui a la chance d’être à la tête de l’Etat : il doit se doter de tout l’appareil sécuritaire pour terroriser son peuple et assurer sa pérennité au pouvoir. Cette mentalité est devenue une véritable structure anthropologique dont l’effet le plus visible est le sous-développement éthique des acteurs politiques en Afrique.

Il faut entendre par sous-développement éthique, le refus de prendre pour socle de la gouvernance quatre principes fondamentaux du système de valeurs à respecter. A savoir :

  • La primauté des normes communautaires sur les visions individuelles du pouvoir politique à quelques niveaux qu’il s’exerce.
  • La primauté des intérêts publics sur les intérêts des personnes, quel que soit le niveau de responsabilité auquel se situent ces personnes dans la pyramide du système de gouvernance.
  • La primauté des rêves et utopies collectifs sur les ambitions privées des détenteurs des rênes de la direction des nations.
  • La primauté des générations futures sur les générations actuelles dans la vision de ce que le pays doit être pour léguer à l’avenir un héritage politique, économique et culturel fécond et riche de nouvelles possibilités du mieux-vivre ensemble.

Le dialogue congolais de la Cité de l’OUA et le sommet des Chefs d’Etat à Luanda, ont mis en relief le manque manifeste du respect de ces principes et de la radicalité de leur mise en œuvre dans le leadership africain, globalement parlant.

Ce n’est pas au nom de ces valeurs de base que la question de la crise politique congolaise a été posée pour qu’y soient apportées des réponses décisives, mais en fonction d’une vision archaïque de la gouvernance et de la gestion autiste et autocratique du pouvoir.

Ce n’est pas non plus en fonction de la condition de la population et des peuples que les solutions qui ont été proposées l’ont été. Mais, en fonction des intérêts des détenteurs du pouvoir et de la volonté qu’ils ont  de tout soumettre à leur volonté, même si, dans les déclarations finales exhibées pour le grand public, la rhétorique des bémols, des euphémismes et du langage diplomatique laisse croire que les réalités ne sont pas aussi carrées ni les horizons aussi fermés qu’on pourrait le penser.

En profondeur, derrière le jeu de mots dans la parole publique et la neutralisation de ce qui est dit par les non-dits à géométrie variable incrustés dans la prose officielle, il faut savoir que c’est le pouvoir en place qui tire son épingle du jeu et rafle la grosse partie de la mise face aux espoirs du peuple et à la radicalité d’une certaine opposition qui veut des changements radicaux.

Au dialogue tenu à la Cité de l’Union africaine à Kinshasa, on a vu à quel point l’idée de la politique qui a structuré tous les débats, a détruit la dignité de ceux-là même qui voulaient sortir le Congo de la crise. Par exemple, beaucoup ont fait des per diem leur raison de vivre ; certains ont usurpé l’identité des autres pour récupérer frauduleusement leurs rémunérations ; la corruptibilité infinie de l’homme congolais s’est déployée à ciel ouvert pour des positionnements en vue des postes à pourvoir dans un éventuel nouveau gouvernement ; des hommes qui devaient être libres et dignes ont pris les allures de gens prêts à se laisser asservir pour rester au sein du système  qui règne au pays.

Avec de telles personnes face à lui, comment le Maître du jeu politique congolais peut-il imaginer que la liberté, la dignité, l’alternance, la redevabilité auprès des populations, l’exigence de doter le pays des contre-pouvoirs, le respect de la parole donnée et le souci des attentes des populations sont des valeurs fondamentales qui valent la peine d’être considérées comme des balises incontournables dans la manière de gouverner un pays ?

A Luanda, il n’y a pas eu volonté d’analyser en profondeur la crise congolaise et de penser au peuple congolais, dans ce à quoi il a droit en termes de politique des valeurs. Les Chefs d’Etat n’ont eu d’autre projet que de consolider l’idée du pouvoir politique qu’ils ont, chacun dans son propre pays, en prenant le Congo comme le miroir d’une crise qu’il convient de juguler ou par la force, en solidifiant le système sécuritaire, ou par l’achat de conscience, en distribuant des espèces sonnantes et trébuchantes, ou par de dialogues piégés où le système régnant sort gagnant, ou par la marginalisation de tous ceux qui n’entrent pas dans le schéma du président qui règne et du système qui est en place, ou par la médiation étrangère sous l’œil complaisant de la communauté internationales.

Dit ou pas dit, le présupposé de base de Luanda a été celui-là. A aucun moment, il n’a été question de savoir s’il est possible de gouverner autrement, de changer la vision et l’ordre de la gouvernance ou d’unir le peuple dans un vivre-ensemble autour des valeurs citoyennes respectées par tous. Même si dans la rhétorique du communiqué final, on évoque les valeurs à respecter pour éviter la violence et le chaos, il faut être naïf pour ne pas voir que tout cela est présenté sous le mode de simple figure de style.

C’est cette manière de réduire les valeurs de vie à une simple figure de style en politique, tout comme la réduction des acteurs politiques d’un pays à l’état de simple caisse de résonnance des positions du pouvoir en place, comme cela a été le cas à la cité de l’UA, qu’il convient de dénoncer comme sous-développement éthique.

Ce refus de mettre les valeurs au cœur de l’engagement et de l’action politique au profit de l’épanouissement de tout citoyen comme membre d’une communauté sociohistorique responsable de sa destinée dans le monde, pour aujourd’hui et pour les générations futures, il faut le considérer comme l’une des pathologies contre lesquelles les nouvelles générations congolaises et africaines devraient fermement s’inscrire en faux pour inventer une autre vision et d’autres pratiques de la politique placées sous le signe du développement éthique, purement et simplement.

Modernité démocratique

Tant que l’esprit qui règne dans la politique africaine est majoritairement celui dont les lignes de fonds sont celles qu’ont révélées le dialogue de la cité de l’UA et le Sommet des Chefs d’Etat à Luanda, l’Afrique n’ira nulle part. Elle tournera en rond dans un archaïsme politique dont les effets seront, à court, à moyen ou à long terme, la stagnation de l’esprit créateur africain dans tous les domaines qui compteront dans le monde en train de se construire autour de la modernité démocratique comme force d’avenir.

  • Une force capable de renouveler le génie politique congolais par l’alternance qui apporte du nouveau sang dans la gouvernance et ouvre de nouvelles orientations à toute la société.
  • Une force capable de mobiliser les jeunes générations autour de la construction d’un ordre de paix qui laisse à chaque citoyen la possibilité de se lancer dans des initiatives de développement et de se lier avec d’autres citoyens créateurs d’autres initiatives pour ouvrir à la nation l’horizon de l’émergence.
  • Une force capable de mobiliser toutes les dynamiques qui veulent le changement en profondeur dans la société pour que surgisse une culture de la mise en question permanente de l’ordre social, et de la recherche, tout aussi permanente, de ce qui est nécessaire à un peuple pour qu’il devienne un peuple responsable de lui-même et de son besoin de grandeur parmi d’autres peuples.
  • Une force capable de mettre l’éthique au cœur de la politique et d’éduquer les générations montantes dans cette vision du vivre-ensemble, en rupture avec l’idée autiste et autocritique qui a enfoncé beaucoup de pays africains dans un sous-développement chronique, comme c’est le cas en République démocratique du Congo, pays détruit depuis son indépendance par des laves dictatoriales complètement insensées.

Si un Africain cherche aujourd’hui à construire une Afrique capable de résoudre ses propres problèmes ; si un Congolais veut aujourd’hui s’engager dans un Congo capable de sortir de la pauvreté et de l’indigence où les populations congolaises croupissent maintenant, la voie qui s’ouvre est celle de la promotion du développement éthique par l’éducation de nouvelles générations à l’esprit de la modernité démocratique contre les archaïsmes dictatoriaux des pouvoirs autistes.

C’est un chemin exigeant et dur dans nos sociétés africaines habituées aux autocratismes tropicaux et aux démocraties d’opérette. Mais c’est le seul chemin d’avenir. Nous ne pouvons pas ne pas le prendre aujourd’hui.

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