Pour une politique imaginative, et une économie créative en RDC

17 octobre 2016

Pour une politique imaginative, et une économie créative en RDC

Carte de la RDC
Carte de la RDC

Rallumer la flamme éthique de la Révolution-Comparaison

Les jeunes congolais d’aujourd’hui n’ont pas l’idée de ce que fut au Zaïre (actuel République démocratique du Congo) de Mobutu, la dynamique que l’on désignait du beau nom de Révolution-Comparaison. A force d’être confrontés à une situation de crise politique permanente, d’obstruction de tous horizons économiques pour des emplois sûrs et de toute force morale pour penser l’avenir avec optimisme et confiance, ils croient que notre pays a toujours été ce qu’il est maintenant dans ses blocages et son chaos. Ils pensent que l’image de notre nation dans le monde a toujours été celle d’une société incapable de résoudre ses problèmes de fond et inapte à maîtriser les grands enjeux du présent et de l’avenir.

J’aimerais dire ici à ces jeunes générations que notre destin n’a pas toujours été celui qu’ils connaissent. Il fut un temps où le peuple congolais fut un peuple d’espérances fertiles : avec une ardente foi en lui-même et un fervent attachement à son potentiel de transformation de toute l’Afrique. Nous vivions sous la houlette d’un leadership ambitieux et dynamique, dans un mental de fer qui avait fait de notre pays une grande nation : le pays de toutes les possibilités de grandeur, de dignité et de liberté. Nous rêvions d’être le Zaïre engagé dans une gouvernance démocratique, porté par des ambitions de modernisation de ses infrastructures, soucieux de construire des institutions solides dont il respecte les normes et désireux d’être le fer de lance d’une dynamique scientifique et technologique dans un monde où il compterait comme une terre  de grands espoirs.

Ce temps-là était celui de la Révolution-Comparaison : une sorte d’âge d’or où notre nation brillait de toutes les splendeurs d’une société qui avait tout en elle pour réussir une grande destinée dans le monde.

Un esprit dont l’inintelligence des leaders brisa les ailes

C’était quoi la Révolution-Comparaison ? Le moment fulgurant d’une révélation : celle de l’essence et de la vocation de notre pays en Afrique et dans le monde. C’était au début des années 1970. Mobutu était au pouvoir depuis cinq ans. Ce que l’on appelle aujourd’hui la communauté internationale l’avait placé à la tête de l’Etat et voulait faire de lui le fer de lance de la lutte contre le communisme pendant la guerre froide. Il était l’ami de l’Occident et le rempart contre l’Est et son idéologie. On avait fabriqué en lui la figure de la dictature heureuse dont l’Afrique devait s’accommoder. Le peuple l’aimait et l’adulait sans avoir aucune idée du projet pour lequel il était formaté. Comme il avait en lui l’art de la mise en scène de lui-même et un don inné d’acteur de théâtre, il théâtralisa son pouvoir dans un cinéma politique de grande ferveur et finit par croire qu’il était vraiment l’incarnation réelle du rôle qu’il devait jouer : l’homme providentiel doté d’un immense pouvoir, un Messie.

C’est là qu’il a inventé la Révolution-Comparaison comme principe de la politique imaginative et de l’économie créative. Cela consistait à gouverner et gérer le pays en exaltant son diorama d’harmoniques de supériorité par rapport à tous les autres pays d’Afrique, réalisations concrètes à l’appui.

Aucune nation africaine ne devait être au-dessus du Zaïre. Le Président zaïrois rêvait d’être le plus grand leader du continent. Ses réalisations devraient être, comparativement à celles d’autres pays, les plus prestigieuses et les plus retentissantes. Sa diplomatie devait rayonner comme le soleil de la grandeur. Sa monnaie, il déclarait lui-même qu’elle était la deuxième du monde, après le dollar, avec pour perspective de dépasser vite la monnaie américaine pour la gloire mondiale du pays du grand fleuve.

Le cuivre se vendait bien et à un taux fort élevé. L’argent coulait. Le Chef pouvait se permettre de lancer des projets pharaoniques comme le barrage d’Inga, la sidérurgie de Maluku, la raffinerie du Bas-Congo et même le programme spatial zaïrois pour conquérir l’univers. Le Grand Léopard a organisé, en 1974, le grand combat du siècle entre Mohamed Ali et George Forman, pour célébrer sa puissance aux yeux de toutes les nations. Il avait même organisé un tournoi mondial de catch en plein Kinshasa et fait un retentissant discours aux Nations Unies pour impressionner les Grandes puissances de la planète et fasciner les petits pays qu’il rêvait de mettre en orbite autour de son propre centre.

Le Zaïre, il le voyait comme le nombril de la planète et la terre bénie des Ancêtres. Mobutu avait inventé aussi la culture de la joie de vivre : une énergétique populaire des chants et des danses pour le Chef et pour le peuple lui-même qui baignait dans le bonheur d’être zaïrois. Ce fut là le cœur de la Révolution-Comparaison : une imagination politique débordante et une économie de puissance et de permanente allégresse dans un pays inondé par la bière et le champagne. Il fallait vivre heureux, il fallait en mettre plein la vue aux voisins et à tous les pays, il fallait imposer l’image de la nation glorieuse où coulent le lait et le miel, dans une mythologie aux harmoniques resplendissantes et aux rythmiques de grandes espérances pour tout le continent africain.

Tout cela, les Zaïrois l’ont vécu comme dans une bulle de rêve, en oubliant qu’on ne peut pas vivre éternellement dans un tel rêve sans qu’un jour ou l’autre le réveil soit rude et brutal. Ils ont surtout oublié que tout rêve est une révélation et qu’il est important d’en saisir et d’en comprendre le sens, si l’on veut le relier à la réalité et s’engager dans la construction de l’avenir à partir de ce sens.

Il manquait au pays un génie de l’intelligence et de l’interprétation forte du grand rêve, qui aurait pu dire au « Grand Léopard » Mobutu qu’il y a toujours dans la vie d’une nation l’alternance des cycles d’abondance et des cycles de disette. Il manqua un visionnaire capable de faire de l’ère de l’abondance un temps opportun pour penser l’avenir et le regarder avec esprit de clairvoyance et d’anticipation des temps durs qui ne manquent jamais d’arriver, en politique comme en économie.

Le souffle des temps fastes a été brisé par les crises économiques et financières mondiales qui dévoilèrent au Zaïre, l’inintelligence de la gestion de ses richesses et l’étroitesse de sa perception de la géopolitique de la guerre froide dont les ressorts, un jour ou l’autre, devait se briser. A la politique imaginative et à l’économie créative succédèrent le Zaïre de l’imbécillité politique et de la gouvernance chaotique d’où la République démocratique d’aujourd’hui n’est pas encore sortie.

De cette période, l’essentiel n’est pas dans les rêves vécus et dans le bonheur éprouvé. L’essentiel est dans la conscience que le Zaïre devait construire pour son rôle de moteur du développement de l’Afrique et du cœur de l’émergence du continent dans le monde, grâce au souffle de la Révolution-Comparaison. Si nous avions eu cette conscience dans notre leadership politique et économique, nous aurions construit une culture d’ouverture à l’avenir dans un esprit d’anticipation des années dures et de préparation des périodes de crise grâce à des modes de pensée et d’action dignes d’une nation intelligente.

Nous n’avions pas cette sagesse et cette perspicacité de nations fortes. La « Révolution-Comparaison » s’est éteinte comme un feu de paille dont Mobutu emportait les beaux souvenirs en enfer où certains Congolais l’ont précipité afin qu’il y grille pour ses crimes, au purgatoire où certains autres Congolais l’ont envoyé pour qu’il y expie ses péchés, ou même au ciel où certains humoristes et certains compatriotes de la grande miséricorde l’ont confié à Dieu, en pardonnant tout le mal qu’il avait commis, cela au nom des temps fastes qu’il fit vivre à son pays, notamment le temps de la « Révolution-Comparaison ».

Pour une nouvelle Révolution-Comparaison

Quand on tourne les yeux vers l’avenir du Congo sans se laisser aveugler par les ténèbres des années de dictature mobutiste, il arrive que s’éveille dans l’homme congolais une lucidité nouvelle pour recueillir les héritages grâce auxquels le pays reste encore debout pour affirmer le courage de croire en l’avenir.

L’un des plus beaux de ces héritages, c’est l’idée même de la Révolution-Comparaison telle qu’il faut aujourd’hui la repenser, la revitaliser et en relancer la flamme dans l’imaginaire congolais.

Avant tout, il faut prendre conscience de la dérive de la première « Révolution-Comparaison ». Cette dérive était due au fait que celui qui voulut l’incarner est resté dans son être une petite fabrication politique de ses maîtres d’Occident, malgré les apparences gonflées et les postures de grandeur qu’il prenait devant son peuple. En plus, il n’avait aucune éthique du dévouement face aux intérêts de son peuple qu’il trahit de fond en comble en se mettant au service des enjeux de la guerre froide, cette opportunité qui le fit demeurer au pouvoir pendant 32 ans. En plus, il y avait en lui une impréparation et une incompétence politiques qu’il ne put jamais juguler, de même qu’il ne put jamais sortir de la légèreté de sa personnalité dans la vie de tous les jours.

Avec ces pathologies, il a inventé une classe politique qui lui ressemblait et faisait de la Révolution-Comparaison une mauvaise pièce de théâtre sans concrétisation en termes de construction d’un pays moderne et d’une nation dont le peuple pouvait vivre conformément aux valeurs d’humanité véritable. Aujourd’hui, notre pays a besoin d’une autre Révolution-Comparaison : elle partirait de la décision des Congolaises et des Congolais à vivre et à projeter dans leur avenir leur propre sens de la grandeur concrète, autour des valeurs citoyennes et dans des initiatives de promotion d’une politique imaginative et d’une économie créative.

De ce peuple jaillira une nouvelle classe politique au service de la nation, une classe décidée à atteindre une haute dimension de personnalité et de gouvernance en vue de construire un Congo qui tienne debout dans la comparaison avec les autres nations, dans tous les domaines. Plus encore que de tenir le coup dans la comparaison avec les autres, il s’agit de rejoindre le peloton de tête des nations africaines émergentes et même de devenir tout simplement la locomotive de l’Afrique dans le monde. Cette perspective dépend des décisions et des choix que chaque Congolaise et chaque Congolais est appelé à faire pour être une citoyenne et un citoyen de la nouvelle Révolution-Comparaison.

Ensuite, il faut dire que ce qui manquait à Mobutu et à sa classe dirigeante, ce fut une méthode d’action digne d’une vraie « Révolution-Comparaison ». Quand on veut se hisser au sommet des nations en matière de politique imaginative et d’économie créative, il est important d’être attentif aux paramètres essentiels de la puissance. Notamment :

  • Les paramètres du développement humain dont on peut mesurer chaque année l’évolution dans chaque pays en matière d’éducation, de santé, d’infrastructures et de bonheur d’être et de vivre chez soi, sur la terre de ses ancêtres.
  • La force scientifique et la puissance technologique qui se calculent par le nombre de chercheurs et le niveau des moyens financiers et matériels alloués aux centres et instituts de recherche dans le budget de l’Etat.
  • Le soin accordé dans la gouvernance globale du pays aux libertés et aux droits individuels et communautaires.
  • Les utopies exaltées face à l’avenir pour féconder l’esprit des populations dans leur volonté de devenir le meilleur de tous les peuples dans le concert des génies créateurs.
  • Les actions pour concrétiser ces utopies afin qu’émerge un autre monde possible dont les normes puissent rayonner autant dans son propre pays que dans les autres nations.

Mobutu n’avait aucune idée de ces rationalités, de ces valeurs et de ces dynamiques de sens qui sont le cœur de la méthode pour une révolution fondamentale dans un pays comme celui qu’il a gouverné pendant 32 ans. Aujourd’hui, le Congo de la « Nouvelle Révolution-Comparaison » doit se construire cette méthode et la réussir. C’est la mission des générations actuelles et des générations futures.

Enfin, il faut savoir que la force de la Révolution-Comparaison au Zaïre était d’avoir impulsé un imaginaire congolais spécifique : chaque Congolais, chaque Congolaise avait acquis la conviction que son mental ne devait pas être le mental d’une petite personnalité de pacotille, mais d’un habitant qui doit, comme dirait Théophile Obenga, réveiller le colosse qui est en lui pour s’affirmer comme citoyen dans son pays et personnalité libre partout dans le monde.

Partout rayonnait la fierté d’être congolais, avec une certaine prestance, un regard fier et aigu, une volonté de réussir et de s’affirmer pour se faire respecter. A un certain moment, avec le chaos où le pays a été plongé au cours des dernières décennies, l’imaginaire de la détermination et de la prestance congolaise s’est fracassé. Nous avons commencé une descente aux enfers de la dévalorisation de nous-mêmes et du dénigrement de notre propre nation. Il faut dire que tout s’effritait sous les yeux de tous et que la sphère politique était devenue sans vertèbres éthiques ni cerveau de première grandeur. De même, l’économie était plongée dans le gouffre du vol, du mensonge, du détournement de fonds et de l’impossibilité de voir des industriels et des grands hommes d’affaires congolais s’affirmer avec énergie et fermeté dans le monde d’aujourd’hui. L’heure est venue de reprendre force dans notre imaginaire de colosse pour un Congo nouveau.

Cela exige que notre « Révolution-Comparaison » se centre sur une réorientation de notre regard vers des pays africains qui représentent aujourd’hui un modèle d’émergence et que nous visions à les dépasser par une nouvelle politique que mèneraient de nouveaux leaders politiques différents de ceux qui se donnent en spectacle actuellement, incapables de respecter leur parole d’homme, les lois de leurs pays, les institutions qu’ils ont créées et les exigences pour construire l’avenir et les valeurs pour se respecter eux-mêmes et se faire respecter dans le monde.

De même, l’état déplorable de délabrement et de chaos où se trouve notre nation exige l’émergence des hommes d’affaires et des agents financiers qui aient l’ambition de s’imposer dans l’économie mondiale par leur sens éveillé de la compétition économique, sans aucun complexe d’infériorité ni aucune peur de batailles pour gagner les marchés partout où cela est possible.

Une telle idée de la politique, une telle idée de l’économie engage une nouvelle culture : celle de la « Révolution-Comparaison » justement. Elle signifie :

  • Penser et être de telle manière que le souci du respect de soi et du respect de son pays soit la ligne directrice de la vision que le fait d’être congolais fait rayonner dans le monde.
  • Vivre et agir de telle manière que chaque geste que l’on pose puisse être un geste de valorisation du génie congolais de la grandeur et du rayonnement du Congo dans le monde, dans tous les domaines.
  • Rêver et imaginer l’avenir du Congo selon l’ordre du colosse qu’il y a dans chaque Congolaise et de chaque congolais.

S’il y a une éthique à enseigner partout dans le système éducatif congolais, c’est bien cette énergie vitale pour faire du Congo le phare de l’humanité qu’il faut viser, ni plus ni moins, dans la nouvelle « Révolution-Comparaison » à penser, à rêver et à vivre.

 

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